12.24.2012

Les dunes tendres d'Eluna


Tout doucement la main se retire,
se retire du livre ouvert à la page, à la fin de la page fin,
et la lampe éclaire son visage et, doucement, le visage de l'homme se relève alors que la main se retire.
S'est retirée. Termine sa course
contre le dos cambré de la lumière, et dessine, sur le
dos de la lumière de lentes arabesques, lentes et profondes.
Puis
la main se fige. Ici, il faut imaginer ce visage relevé, il faut croire en la fixité de l'homme qui, peu à peu, comprend les derniers mots du livre, comprend sans le vouloir ce qu'il a toujours
vu, senti, touché.
Comprend
qu'après les livres c'est la vie,
l'étouffement existentiel, dur et profond mais
salutaire, pour celui qui veut plus que l'absence de tendresse, pour celui qui se permet de respirer
fort
de toute sa hauteur
de toute la faune de son âme en chien
jappant, chialant tirant de toutes ses forces sur la laisse
pour qu'on le laisse
enfin
écarter les bras, écarter les doigts, écarter bouche oeil et genoux
relever la tête, encore et devenir, les yeux tournés vers le ciel, un arbre centenaire.


*


je t'ai peut-être tout donné
tout ce que je sais, tout ce que je connais
je t'ai donné mon coeur battu, mon coeur carbonisé
le gris de mes yeux nus, mes rêves évasés
et mon visage et ma rage d'éclopé
éclose, en boitant, dans un vases soliflore
mes clopes et mon briquet, mes peurs
et mes efforts pour ne transpirer
que sur un côté du lit
pour ne rêver
que de fruits mûrs
pour n'être
pour toi
pour un temps
qu'un doigt tendu frôlant ta tempe
ton nez, tes mâchoire, le noir de tes sourcils,
Cécile,
et finissant sa course
au très bas de ta colonne vertébrale
où les dunes tendres d'Eluna, pâles sous la lune
dorment et rêvent aux clameurs mêlées de mes lèvres brunes


*




Les visages n'ont pas de sens, les visages parlent des paupières que le sable a scellé, closes toutes closes paupières, du très haut des dunes des dunes tendre d'Eluna none présence, mais tendre malgré tout. La vie est une accumulation, rien ne se soustrait, tout repose, à jamais, dans le sable ; oasis calme où fleurissent les bouches, écrasées les unes contre les autres, pour que les lèvres se tiennent chaud, pour qu'une lèvre en élève une autre, qui grandit pousse sans plus craindre la compagnie des étoiles
des dunes tendres 'Eluna none présence, faible mais là, malgré tout. 

visages mêlés


Soutenez-vous les uns les autres, les fêtes arrivent, arrivent les fêtes et ne vous dites pas des trucs du genre: oh tu sais moi, les fêtes... ou bien: oh les fêtes moi tu sais... C'est pas mon truc.
Vous n'êtes pas seul, vous croyez l'être mais vous ne l'êtes pas ; il y a toujours quelqu'un, quelque part, que vous connaissez, qui partage votre solitude ; toujours de quoi échanger ; toujours de la vie en vous.
Et cette vie vous devance ; et cette vie a un visage, donc de la peau qui sent, de l'épiderme, du grain. 
Vous existez. Vous existez pour l'autre. 
L'autre existe pour vous.
Pour vous le triste sir, incapable de vous sentir uni à, par pur bourgeoisie de l'âme ô belle et grande solilitude... Que dalle ! Mettez de côté votre égo, trouvez la force d'être heureux, bien, tranquille, apaisé. 




Metro-gueule





Est roi le soleil




Orange amère





12.20.2012

Visages (remodelés)

Ladybelle couchée




I am a great great whore/I am Jesus



Je suis le fils de ma chienne






12.14.2012

Le Glown




On m'appelle le Glown.
Clown j'étais à l'époque, ô bénie soit cette époque où j'étais rieur, cabotin, tout en blagues et en soupirs articulés ; j'étais clown et, devant l'enfant, je savais vivre, et virevolter, entre tendresse et potacherie voire, entre ridicule et grâce pure... Mais voilà... Un jour L'homme Derrière la Glace, à cause d'une faute, d'une simple faute de frappe, me fit Glown.
Et, depuis, ma barbe a poussé, mon regard est devenu dur, dur terrible regard et gestes tragiques, ma vie devenue triste à mourir, complexe et insondable, devant l'enfant je me mords la lèvre, il me pousse une cravate, fleurissent les mocassins, émergent des lunettes, et le Glown se transforme en employé de bureau terne et désespéré.
Après la mort, il y a l'enfer.
Après l'enfer, la rue.
Après la rue, le bureau.
Mais attention, hein ? le bureau bien tard, en hivers, le bureau baigné d'une lumière surréaliste, au son du stylo qui gratte comme un chien devant la porte, des petits clapotis du clavier, le bureau dévorant l'espoir de l'homme à la tête courbée, tel un réverbère éclairant mal ce qui se cache derrière le geste, l'intention.

Je n'ai plus que l'intention d'être.

Je ne suis plus que l'intention de ma venue au monde.

Alors le Glown fait attention de ne pas vivre trop fort, le Glown surveille son ombre, pour qu'elle n'aille pas trop loin, garde son ombre, mange avec son ombre, et, toujours, fait gaffe à rester droit.

Les Clowns sont les défauts de tout le monde, et s'empêtrent dans les tentatives de dépasser ces mêmes défaut, jouent à être meilleur pour atteindre la grâce, la petite larme de l'enfant, la transfiguration de l'adulte, l'union du rêve et du monde solide ; moi, le Glown, je suis un seul défaut, celui de ne pas être mort plus tôt, et de ne vivre que dans le rêve, je suis un rêve détaché du monde, un geste suspendu, une intention.

Et l'Homme Derrière La Glace est désormais mon seul public. Et je sais déjà qu'à l'heure prochaine de mon suicide, il mangera des cacahuètes en ricanant devant les restes, les dernières traces du ridicule de sa folie furieuse.

Blam. 

Cathy-souris



Cathy-souris (paraît-il) n’existe pas, ou presque ; on la voit parfois, le soir ou très tôt le matin, traînant son caddie dont nul n’a jamais vu l’intérieur.
Dans son manteau gris, sous ses cheveux gris, Cathy-souris semble ruminer en permanence, la tête basse, la gorge et le menton recouverts d’un foulard sans couleur. On peut, bien sûr, se demander qui, du trottoir ou d’elle, marche sur l’autre. Comme si le sol voulait l’écraser contre le ciel, comme si la pluie trouvait sa source dans le béton béant, et jaillissait sous les semelles en caoutchouc de Cathy-souris, sous le corps courbe de Cathy-souris, dont nul n’a jamais vu l’intérieur.

Et pourtant.
Il se trouve qu’à l’époque, Cathy-souris était connue sous le nom de Gris-poussière, et Gris-poussière était une star (relative) dans le milieu du hip-hop underground. Notamment à Los-Angeles, du temps où Los-Angeles s’appelait encore Los Angeles.
Elle arrivait, posait, puis repartait en jouant des coudes ( et ça en jetait pas mal, il faut l'avouer.) 
Et puis elle disparut (paraît-il) de la scène. Du jour au lendemain.
Paraît-il également qu’elle retrouva son vrai blaze (selon certaines sources), et que ce nom était Cathy-souris. Retrouver son nom de naissance, dans le milieu du hip-hop, signifie rendre les armes, quitter son nom de scène, son personnage, et retrouver son âme.

Je l’ai recroisé un jour, je crois, il y a quelques années, alors que je zonais à la terrasse d’un salon de thé. L’ai reconnu mais, comme d’habitude, je n’ai pas osé aller vers elle. Elle était vieille (moi aussi), grise, puait le gris, vieille et courbe, vaincue, triste, et traînait son cabas comme on traîne son ombre portée. Était devenue l’inverse de la gloire.
Et à présent que je me lève tôt, me rase, et mange à heure fixe, je me dis que la vie est sans pitié pour ceux qui veulent en prendre le contrôle, et jouir d’elle à chaque instant.
Tout s’inverse, les pôles s’inversent, et peu à peu apparaît la doublure de ses rêves, les ficelles du bonheur, ou de la gloire, et il n’y a plus, nowhere, de surprises, le cœur bat par habitude et l’espoir, noyé dans les flaques fait floc floc, hem, one two one two,  fait flic flac sous les semelles de toutes les Cathy-souris du  monde, les Gris-poussière, Les Gris-souris ou encore Cathy-poussière, dont(paraît-il) nul

n’est jamais revenu.

12.13.2012

Le club d'échecs

Je danse, je danse avec mes ombres et passent, passent les muses devant moi, les muses en survèt', à 20 ans déjà pleines, chassant l'alloc' et l'évènement, la lumière des flaques et les soirées ratées, regardant amoureusement grandir leurs écrans plats. Passent les nuits blanches, guidées par l'odeur du shit et par le goût de la défaite, intense, persistant, cru.
Je m'appelle Gabriel Cendré, et je suis un homme libre.
Je danse. Les oiseaux se lamentent et vagissent dans le très haut du ciel, Rihanna glapit, et tire sur la manche d'un producteur: - excuse-moi, mec... euh... t'aurais pas une pièce pour un single ?
Bien sûr tout ceci reste entre nous. J'ai déjà du mal à travailler le langage de la rue, à surveiller ma nonchalance, à cracher comme un pauvre... croyez-moi si je vous dis que détruire des rétros c'est mal, que je regrette d'avoir volé des vélos dans les caves, la nuit, que braquer des magasins à 2h du mat' ne mène à rien, ou, au mieux, chez les shmidts.
Croyez-moi. Je veux juste vivre libre, j'ai lu Bukowski, j'ai lu Fante, j'ai lu Céline et des magasines de moto, même si je me contrefous des motos. Et de Céline. Moi qui suis nez avec une cuillère d'argent dans la bouche, je veux désormais pourrir avec un canapé en skaï dans le rectum.
Renifler l'odeur de la friture.
Manger pas cher et très gras.
Si j'ai un fils un jour, le laisser regarder la télé jusqu'à pas d'heure, et jouer avec lui lorsque je serai bourré, et l'engueuler pour un rien, au hasard, pour me sentir fort, et lui répondre des trucs du genre: tu comprendras plus tard, élidant ainsi toute tentative de transmission père-fils.
Vrai, j'ai trop souffert, dans mon adolescence, d'être riche et heureux, d'avoir des parents formidables, même pas divorcés. Je m'étais même inscrit au club d'échec pour me sentir moins seul entre midi et deux
Je jure devant Dieu que je serai un bon prolo, et que mon fils souffrira assez pour s'intégrer.
Alors je danse, je danse avec mes ombres, je cause moto, bois, fume du zeutla devant des séries américaines, casse des rétros, vole des bouteilles et m'ennuie à la perfection.
Et bientôt, pour fêter mes 29 ans, j'irai dormir sous un pont.
- Je me languis déjà de l'odeur de la pisse, et du froid qui saura me rendre vivant...


12.12.2012

Neige

Neige, c'était un peu le monde à l'envers, un hivers sans fêtes, sans feu, sans chaleur ni bains moussant, ni bains de foule et ni soleil. Neige, c'était un pauvre ciel tout blanc, incertain, une tragédie où rien ne se passait, une tragédie suspendue, entre ce qui fait rire et ce qui tue.
Cela faisait bientôt sept mois qu'elle était en psychiatrie.
Elle s'était tranchée les veines et mangeait végétarien. Elle, comment dire: - votre fille a de sérieux problèmes d'élocution. Psychomoteurs, aussi. Et des lunettes en culs de bouteilles. Et, chose curieuse, elle avait la tête perpétuellement penchée sur la gauche, reposant sur son épaule qui remontait, et lui faisait voir le monde sous un angle différent. Oblique. Fuyant. Neige n'était pas farouche: on ne lui en avait jamais donné l'occasion.

*


Un jour, un gros roumain très moustachu arriva dans le service. Il parlait à peine français, respirait fort, et crachait allègrement dans le cendrier de la salle fumeur. Deux heures ne s'étaient pas écoulées, qu'il avait déjà tripoté toutes les patientes du service. Il y eut beaucoup de cris, de bruits de gorge, de gloussements terrifiés ; toutes les femmes avaient peur et toutes les femmes se sentirent unies par les liens de l'outrage.
On s'offusqua en groupe, il y avait matière à échanger.
Du coup, ces guili-guilis mal venus vinrent aux oreilles du chef de service qui, vingt et cinq minutes plus tard, était là et demanda que l'on monte - immédiatement et plus vite que ça ! -un bûcher sur la petite place jouxtant les bâtiments des longs et moyens séjour. Ceci fut fait, et, à 22h30 précise, le salaud fut brûlé vif, sous les acclamations de tous les patients, infirmiers, psychiatres du service. On applaudit. La catharsis était belle et nécessaire.

 Et Neige ?

*


Elle n'était pas là, pas avec les autres ; était restée dans l'unité, dans sa chambre, et lissait inlassablement les plis de ses vêtements, la tête toujours penchée, triste et seule au monde. Le violeur l'avait ignoré, passant à côté d'elle sans la voir C'est qu'elle aurait bien aimé, elle, être agressée sexuellement, qu'on la touche, qu'on lui lèche le cou, qu'on lui tire doucement les cheveux, avant de lui faire promettre de ne rien dire.
Elle l'aurait fait.
Elle aurait enfin pu partager un secret avec quelqu'un. - Il me semble que votre fille a de sérieux problèmes d'intégration. Quelqu'un. Une personne de plus de plus pour être deux. Aux yeux du pervers, toutes les femmes abusées avaient une certaine valeur. Pas elle. Elle était Neige, Neige restait sous son manteau, et rêvait de fondre pour un homme. N'importe qui. Quelqu'un. Mais non. Pour ses parents, elle avait toujours été sacrée. Même à bientôt trente-deux ans. Et le monde l'avait comme... condamné à une peine de pureté. A perpétuité.

12.11.2012

Born to be last

Nous étions deux blacks, deux métis et tous ceux-là, les affreux blancs-becs, majoritaires, nous traitaient de frères. Vrai, nous ne nous ressemblions pas. Aucun trait commun, à part peut-être nos deux papas, qui mirent un peu de noir dans notre sang, du bâtard dans le ventre de nos mères.
Nous étions deux blacks, et tous les blacks sont frères.
Ajoute-moi un chapeau, je suis untel, une paire de lunettes, oh mon dieu on dirait l'autre ! Le chanteur, là ! Cool, mon gars, tiens, regarde moi sans la moustache... De qui j'ai l'air ? Tous les blacks sont frères, c'est comme les chinois.

*

Voyage ô ces fameux voyages de classe, qui laissent, dans nos carcasses, comme une trace d'exotisme crasseux. Style caisses de bières andalouses, anglaises, je peux le dire sans honte: - je me suis pinté dans toutes les impasses d'europe. - de ces pays je n'ai rien vu, mais j'ai pris des photos... de mecs bourrés, ou de panneaux. De trucs rigolos. Bref. Deux blacks, dans le car du retour, moi devant, lui derrière, et c'est le genre à serrer la main mollement, tel un cyclone sous calmants. Derrière: les populaires. Devant: les autres. Je me fais chier. Tout me fait chier. Je suis triste par nature. C'est la fin de l'aventure, la fin de la torture, pour moi, qui, la joue collée contre la vitre, regarde les paysages défiler, ne pensant qu'à rentrer, retrouver ma playstation et ses réalités mensongères et merveilleuses.
Et puis.
Et puis.
Et puis oh et puis soudain, c'est comme une rumeur qui monte, comme un grondement. Derrière les voix se lèvent, tourbillonnent: - allez vas-y. - vas-y ! Hihi ! - VAS-Y ! Allez Marine ! Bon. Ok. Marine et moi on est copains. Je sais déjà ça. Mais de là à ce qu'elle se jette dans mes bras... il n'y a qu'un pas. Un pas de plusieurs siècles. - MARINE ! MARINE ! MARINE ! J'ai chaud. Le sang me monte à la tête. Je n'ose me retourner. C'est tout le bus qui attend qu'elle se lève, et vienne s’asseoir à mes côtés, et me roule un patin. Merde. De quelle côté on la tourne, la langue? Je sue. Je m'essuie le front. Et le nez ? De combien de degrés faut-il pencher la tête ? Vers la droite ou vers la gauche ? J'ai terriblement chaud. Je souris. Je me retourne. - OUAIIIIS !
Ouais quoi ?
Elle est pas là.
Pas à côté de moi.
Elle est derrière, parmi les populaires. Et à côté, oui, de lui, mon frère. Je tombe. Mes illusions tâchent mon tee-shirt "born to be last". Je deviens secrètement mesquin. Comment n'y avais-je pas pensé ? Lui est derrière, moi devant, lui c'est le dominant, moi l'intello, le bidasse de l'amour, je suis damné, infiniment black, mais sans le groove. Lui c'est Kanye West, moi Sebastien Folin. C'est pourtant facile: il s'habille mieux que moi. Tous les blacks sont frères. Un rien les rend humains.